jeudi 27 décembre 2007

Article 1

L’Internationale Citationniste aurait préféré ne pas.

mercredi 19 décembre 2007

Article 100

Finalement, toute citation prescrit quatre grandes fonctions : la force de l’errance, la douleur de l’immobilité, la jouissance de l’impératif, et l’invention du récit.

vendredi 7 décembre 2007

Article 103

« D'abord on lit des histoires inventées par d'autres », avait-elle commencé, d'une voix qui montrait son habitude de parler en public. « Et l'on découvre le temps de cette heure magique l'excitation de devenir un autre, plusieurs autres. Puis l'on veut écrire ses propres histoires, en citant celles que l'on a lues. Et l'on apprend comment devenir autre. Et l'on découvre qu'il n'existe aucune limite que la fiction ne permette de franchir. Alors on s'engage dans des expériences de dépersonnalisation plus longues et risquées. Changer d'époque, d'espace, de sexe, d'espèce. On s'absente si bien de soi! Et bientôt, nous n'acceptons plus de réintégrer notre moi social qu'en de plus en plus rares occasions. »
Sa main était posée sur le bras de Borges, comme pour vérifier qu'il était bien là.
« Comme ce soir par exemple. »
Il y eut des rires. Chacun, dans le salon, opinait d'un air entendu.
« Ensuite, continua-t-elle, si l'on a de la chance, si la fiction veut bien de nous (mais tout portrait, toute biographie, chacun le sait, est déjà une fiction), on devient soi-même personnage dans des histoires conçues par d'autres, qui imitent et répètent à leur tour celles que nous avions citées. Et ceux qui liront ces histoires, le temps d'une nouvelle heure magique, deviendront ce en quoi la volonté, le désir ou la malveillance d'autrui nous aura transformés. À la fin nous serons entièrement passés du côté du langage. Créés, agis et visités librement, par qui le veut.

– La prolifération des auteurs et personnages d'auteurs est-elle une fatalité ? Ne représente-t-elle pas un danger ? » avait-on cru nécessaire de la couper.
Geste de la main incitant a développer. Bruit de bracelets.
« Si tous les lecteurs de romans tendent à devenir des citationnistes auteurs de romans et que tous les personnages dans les romans tendent à devenir des personnages citationnistes auteurs de romans, n'y a-t-il pas le risque, à la longue, que tous les romans finissent par se ressembler, en reproduisant à l'identique le même bariolage de tissu écossais ? » On ignorait comment cette dernière image avait pu venir à l'esprit.

« C'est ce qui arrive quand un caméléon usurpe l'identité d'un autre caméléon. Et ce qui explique, en effet, pourquoi nous sommes condamnés à vivre et écrire toujours la même histoire, au fil du temps, à des degrés de moins en moins personnels. Tant mieux ! Telle que vous me voyez, il n'existe plus en moi qu'un faible pourcentage de – comment dites-vous ? L'Internationale Citationniste. Un nom. C'est tout ce qui reste, et tout ce dont nous avons besoin pour désigner les formes voyageuses que nous empruntons, destinées à se vider et se remplir, non plus d'air, mais de mots. Le nom que nous sommes et auquel nous donnons forme. Jorge, Luis, Borges. Ivan, Vladimirovitch, Chtcheglov. L', Internationale, Citationniste. Sujet, verbe, complément. Les phrases que nous devenons.

dimanche 2 décembre 2007

Article 75

On a toujours pensé qu’il pouvait y avoir un dialogue entre des groupes d’êtres parlants et les délires les plus solitaires. Pas n’importe quels groupes, disait-on, ceux qui “laissent affleurer l’image la plus accomplie de la finitude, toute entreprise mienne s’y trouvant dépossédée au nom d’une instance plus implacable que ma propre mort, celle de sa capture par l’existence d’autrui”...

jeudi 22 novembre 2007

Article 62

Il ne s’agit plus de partir, ni d’arriver; on a vécu trop longtemps sur une conception énergétique du mouvement : il y a un point d’appui, ou bien on est la source du mouvement. Courir, lancer le poids, etc. : c’est effort, résistance, avec un point d’origine, un levier. Tous les nouveaux sports – poterie, détours, dérive, lancer de taupes, petits jeux... – sont du type : insertion sur une onde préexistante. Ce n’est plus une origine comme point de départ, c’est une manière de mise en orbite.

mercredi 14 novembre 2007

Article 48

C’est pourquoi il faut partir de la beauté de la citation. C’est elle qui nous instruit de ce qu’il importe de sauver. Parce que toute beauté, et singulièrement celle que nous visons, a pour destin de séparer. Séparer l’apparence, qu’elle restitue et oblitère, de ce qui est le noyau universel de l’expérience. Prendre la citation à la lettre est indispensable. À la lettre de la beauté. Dans sa fonction séparatrice, la lettre nous annonce ce qu’il faut négliger pour se tenir en face de ce qui peut valoir.

jeudi 8 novembre 2007

Article 10

A bien y réfléchir cet amour de la gloire n'est autre que le plaisir de faire parler de soi. Mais ni laudateurs ni critiques ne demeureront en ce monde, et ceux mêmes qui auront recueillit leurs jugements, à leurs tour, bientôt, devront s'en aller. Devant qui craint-on de paraître ? de qui veut-on être connu? La gloire est elle même source de critiques, et il n'est le moindre profit à laisser un nom après soit. Un tel désir est une sottise.

mercredi 31 octobre 2007

Article 35

Je suis né de l'ombre, je suis né dans l'ombre et mon désir fut longtemps qu'on ne m'arrache pas à l'ombre où je suis.

vendredi 19 octobre 2007

Article 81

Veillez donc, veillez les indécis, veillez les habitués de la balance, les ballottés et les flotteurs, les gaspillés de projets (mais au moment de l’action une inhibition se présente à la racine de chaque doigt), les habiles à trouver des carrefours sur les routes les plus droites, et des interrogations par rangs de quatre à tout sujet. Veillez.

mardi 9 octobre 2007

Article 97

[...] soit en clair je cite ou bien je suis seul et plus de problèmes ou bien nous sommes en nombre infini et plus de problèmes non plus.

jeudi 4 octobre 2007

Article 17

Vous souvenez-vous des discussions qui ont accompagné l’invention du langage ? Mystification, puérile fantaisies, déliquescence de la race et dépérissement de l’État, trahison de la Nature, atteinte à l’affectivité, crime de lèse inspiration, de quoi n’accusa-t-on pas (sans langage) le langage à cette époque.
Et la création de l’écriture, et la grammaire, est-ce que vous vous imaginez que cela ait passé sans protestations ? La vérité est que la querelle des Anciens et des Modernes est permanente. Elle a commencé avec le Zinjanthrope ( un million sept cent cinquante mille ans) et ne se terminera qu’avec l’humanité à moins que les mutants qui lui succèderont n’en assurent la relève. Querelle, au demeurant, bien mal baptisée. Ceux que l’on appelle les Anciens sont, bien souvent, les descendants sclérosés de ceux qui en leur temps, furent des Modernes ; et ces derniers, s’ils revenaient parmis nous se rangeraient, dans bien des cas, aux côtés des novateurs et renieraient leurs trop féaux imitateurs.
L’internationale citationniste ne représente qu’une nouvelle poussée de sève dans ce débat 1 .

1. Comment la sève peut-elle pousser dans un débat ? Nous nous désintéressons de cette question qui relève non du citationnisme mais de la physiologie végétale.

dimanche 30 septembre 2007

Article 92

A toi, frère de doute, nous dédions ces quelques mots d’imbécillité.
Nous avons voulu te les dire sur des rythmes variés que tu reconnaîtra parfois. Si nous avons accepté ces modes d’expression, c’est que nous les croyons plus savoureux et ainsi capables d’accrocher l’ego et de déclencher le festin. D’ailleurs ces quelques pages n’ont aucune prétention littéraire : elles voudraient seulement te monnayer un message de joie qui te retourne le coeur, celui de la stylistique paladionienne. Car, si l’on veut la comprendre comme l’incarnation progressive du freestyle dans la tête et ainsi comme notre rencontre personnelle d’une certaine littéralité, notre pratique est trop belle pour ne pas enthousiasmer ton coeur de soixante ans.
Et aussi, pour ce que cette vie de la combinatoire en nous est la première et, au fond, la seule réalité, nous espérons encourir de toi, routier, qui veux être réaliste, le reproche d’être à côté du réel.

lundi 24 septembre 2007

Article 28

Vous ne comprenez pas, n’est-ce pas, ce que nous faisons. Eh bien, chers Amis, nous le comprenons encore moins, quel bonheur, hein, vous avez raison. — Mais croyez-vous que Dieu savait l’Anglais et le Français ??? ???
Et puis j’en ai assez, ceux qui ne comprennent pas ne comprendront jamais et ceux qui comprennent, puisqu’il faut comprendre, n’ont pas besoin de moi.

mercredi 19 septembre 2007

Article 4

On entre dans une zone d’indérmination.

mardi 11 septembre 2007

Article 89

Ici prend fin l’objectivité : ces articles sont définis ou indéfinis. J’avoue que le choix entre la définition et l’indéfinition m’a toujours été imposé par des considérations hautement subjectives. Mais le moyen de faire autrement ? A partir du moment où ce manifeste, de potentiel devenait existant, l’honnêteté commandait de l’aider par tous les moyens à notre disposition. Après tout, on interdit généralement au médecin- accoucheur de jeter la semence lui-même, mais, le grain levé, on ne saurait lui interdire l’usage de forceps.

lundi 3 septembre 2007

Article 58

C’est seulement en le déplaçant dans cette atmosphère, comment dire, de finalité sans fin, pourquoi pas, qu’on osait considérer le travail à exécuter.

samedi 25 août 2007

Article 34

Les fins de moi sont difficiles : se reduire en cendre, se laisser répandre dans les lavabos blancs, la solution est sans doute amer s'il l'on considère qu'on ne sait pas où cela mène.

jeudi 16 août 2007

Article 87

Nous sommes la post-époque. D'où ce désir que l'IC manifeste en forme de souvenir joyeux de la phrase de Danton sur l'audace. Même s'il n'y a pas ici d'ennemis de la patrie. Mais il n'y a pas non plus tellement d'amis. L'époque est un peu lâche. Ce qu'il s'agit de manifester est simple. C'est le cri de la citation sur le signe. Pour faire entendre le sujet, non l'individu. Faire entendre le radicalement historique, ce que la citation fait à son écoute. Par quoi elle est intempestive.

dimanche 5 août 2007

Article 78

Une internationale, c’est ce qui se passe quand des êtres se trouvent, s’entendent et décident de cheminer ensemble. Une internationale, c’est peut-être ce qui se décide au moment où il serait d’usage de se séparer. C’est la joie de la rencontre qui survit à son étouffement de rigueur. C’est ce qui fait qu’on se dit « ON », et que c’est un évènement. Ce qui est étrange n’est pas que des êtres qui s’accordent forment une internationale, mais qu’ils restent séparés. Pourquoi les internationales ne se multiplieraient pas à l’infini ? Dans chaque usine, dans chaque rue, dans chaque village, dans chaque école. Enfin, le règne des comités de base. Mais des internationales qui accepteraient d’être ce qu’elles sont là où elles sont. Et si possible, une multiplicité d'internationales qui se substitueraient aux institutions de la société : la famille, l’école, le syndicat, le club de poterie, etc. Des internationales qui ne craindraient pas, outre leurs activités proprement politiques, de s’organiser pour la survie matérielle et morale de chacun de leurs membres et de tous les paumés qui les entourent. Des communes qui ne se définiraient pas – comme le font généralement les collectifs – par un dedans et un dehors, mais par la densité des liens en leur sein. Non par les personnes qui les composent, mais par l’esprit qui les anime.

lundi 30 juillet 2007

Article 79

Tout équilibre existant est remis en question chaque fois que des hommes et des femmes inconnus essaient de vivre autrement. De là notre tendance à remettre tout en question dans tous les instants. Une certaine habitude de vie façonne nos esprits de jour en jour. Une immense poussée d’émouvante incapacité a fait craquer pour nous tous les cadres des contraintes qu’un être social a coutume d’accepter. Nous n’acceptons pas parce que nous ne comprenons plus.

mardi 24 juillet 2007

20ème Article

Pour lancer une chose, il faut vouloir A.B.C.
foudroyer contre la parole
s’énerver et aiguiser les paysages pour conquérir et répandre de petits et de grands accordéons
signer, crier, jurer, arranger l’existence sous un Dieu d’essentiel absolu, irréfutable, prouver sa cocotte plus-ultra et soutenir que l’apparition ressemble à la vie comme la dernière nouveauté d’un non prouve l’évidence de la forme. Sa prose fut déjà prouvée par l’ a.b.c., les ailes et les 1.2.3. doux.
Imposer son A.B.C ; est un manifeste naturel — donc regrettable

dimanche 8 juillet 2007

Article 3

L’Internationale Citationniste groupe des hommes et des femmes qui n’ont qu’un seul Mot à dire, toujours le même : " Oui et Non ".

samedi 30 juin 2007

Article 14

La question de l'ascendance dans la culture est fausse. Toute nouvelle manifestation culturelle réécrit le passé, transforme les vieux maudits en nouveaux héros, les vieux héros en personnes qui n'auraient jamais dû naître. De nouveaux acteurs fouillent le passé à la recherche d'ancêtres, parce que l'ascendance est la légitimité et la nouveauté le doute — mais à toutes les époques des acteurs oubliés émergent du passé non comme des ancêtres mais comme des proches.

samedi 23 juin 2007

Article 69

Nous n'avons pas le sentiment de savoir inventer, mais nous avons le sentiment de savoir trouver les choses, et de les assembler. Et nous ne sommes pas gêné de faire n’importe quoi, avec n’importe quoi.

Les citations ne nous protègent pas, ce sont des amies.
Ils ont créé des choses, pourquoi ne pas les utiliser ?
S’il y a des arbres, pourquoi ne pas en faire n'importe quoi ?
Si c’est une rue, si ce sont des gens, on peut en faire n'importe quoi.
Ce n’est pas à moi, mais nous pouvons en faire n'importe quoi.

lundi 18 juin 2007

Article 29

Je dis "du pain" et personne ne me comprend; je dis "du pain, des jeux", et on commence à me comprendre; je dis "du pain, des jeux et des cendres", et tout le monde comprend. L'injuste pouvoir de conviction des systèmes vient du fait - au reste épistémologiquement nécessaire - que le cerveau humain est, de façon tellement inerte et formelle, analogique et combinatoire.

samedi 9 juin 2007

Article 19

Puisque la banqueroute des idées a effeuillé jusqu’au bout l’image de l’homme, ce sont maintenant les instincts et les arrières-plans qui se manifestent de manière pathologique. Comme aucun art, aucune politique, aucune conviction ou foi ne semblent pouvoir résister à cette lame de fond qui rompt toutes les digues, il ne reste que la blague ou la pose sanglante.

samedi 2 juin 2007

Article 39

Il s’agit avant tout de faire désespérer les hommes d’eux-mêmes et de la société. De ce massacre d’espoirs naîtra une Espérance sanglante et sans pitié : être éternels par refus de vouloir durer. Nos découvertes sont celles de l’éclatement et de la dissolution de tout ce qui est organisé. Car toute organisation périt lorsque les buts s’effacent à l’horizon de l’avenir, qui n’est plus qu’une barre blanche posée sur le front.

Ainsi s’émietteront les idoles entre lesquelles les hommes partagent leur adoration – ils ne savent pourquoi ni comment. Il est inutile de les nommer : elles empoisonnent l’air. Les goules que l’Internationale Citationniste nourrit dans les locaux réservées à cet usage savent se nourrir de ces cadavres – car elles ne sont pas portées sur la bouche.

L’ ADIRECTION

N.B. Pour les personnes qui nous interrogent au sujet de l’Internationale Citationniste, nous répondrons une fois pour toute à n’importe quelle question ; “Oui et Non”. Nous sommes ainsi les derniers à faire servir la vanité du discours à quelque chose.

jeudi 24 mai 2007

Article 62

La force d’une route de campagne est autre, selon qu’on la parcourt à pied, ou qu’on la survole en aéroplane. La force d’un texte est autre également, selon qu’on le lit ou qu’on le copie. Qui vole voit la route s’avancer à travers le paysage : elle se déroule à ses yeux selon les mêmes lois que le terrain qui l’entoure. Seul celui qui va sur cette route apprend quelque chose de sa puissance, et apprend comment, de cet espace qui n’est pour l’aviateur qu’une plaine déployée, elle fait sortir, à chacun de ses tournants, des lointains, des belvédères, des clairières, des perspectives, comme l’ordre d’un commandant qui fait sortir ses soldats du rang. Il n’y a que le texte copié pour commander ainsi à l’âme de celui qui travaille sur lui, tandis que le simple lecteur ne découvre jamais les nouvelles perspectives de son intériorité, telle que les ouvre le texte, route qui traverse cette forêt primitive en nous-mêmes, qui va toujours s’épaississant : car le lecteur obéit au mouvement de son moi dans l’espace libre de la rêverie, tandis que celui qui copie le soumet à une discipline.

samedi 12 mai 2007

Article 56

Quand nous étions petites, nous recopiions des livres entiers ou des passages entiers de livres que nous envoyions à nos amis. Nous aurions pu leur envoyer des lettres, mais nous leur envoyions des copies, écrites de nos mains, de livres que nous aimions. Si nous leur avions envoyé les livres, nous leur aurions envoyé de la littérature. Telle ne devait pas être notre intention. Notre intention devait être de leur dire que nous les aimions en leur envoyant, copiés de nos mains, des livres ou des passages que nous aimions.

jeudi 3 mai 2007

Article 41

Les choses sont indifférentes à l’homme.
Mais voici que l’homme tripote. Alors il comprend les choses, les possède, les goûte et quand il les revoit, une fois tripotées, il sent boum! boum!
et joie dans son ventre.

jeudi 26 avril 2007

Article 47

1) Banqueroute des idées, éclatement et dissolution de tout ce qui est organisé. C’est terrible, maintenant tout rappelle quelque chose, tout le monde vous rappelle quelqu’un. On ne sait plus quoi appartient à qui ni qui est qui ! – Et alors ? – Et alors, il n’y a plus que des remakes, des sequels, des répliques! – Et alors ? – Et alors, rien…

2) Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même. Quelqu’un a dit que son esprit était ouvert à tous les vents. Ce que fait un homme, tous les hommes le font. Je suis les autres, n’importe quel homme est tous les hommes. Les lieux communs comportent leur part de vérité. Contre ceux qui trahissent au profit de l’égoïste intérêt humain individuel, la seule recherche est une évidence absolue, immédiate, implacable.

3) Plus d'un comme moi une barre blanche posée sur le front sans doute écrivent pour écrire. Quand j’étais petit, je recopiais des livres entiers ou des passages entiers de livres que j’envoyais à mon amie. J’aurais pu lui envoyer des lettres, mais je lui envoyais des copies écrites de ma main, de livres que j’aimais.

4) La force d’une route de campagne est autre, selon qu’on la survole en aéroplane ou qu’on la parcourt à pied. La force d’un texte est autre également selon qu’on le lit ou qu’on le copie. Qui vole voit la route s’avancer à travers le paysage. Seul celui qui va sur cette route apprend quelque chose de sa puissance.

5) Autrefois, j’avais trop le respect de la nature. Je me mettais devant les paysages et je les laissais faire. Fini, maintenant, j’interviendrai. Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. Il serre de près la phrase d’un auteur, efface une idée fausse, la remplace par l’idée juste. Révolution de la réalité vers sa source.

6) Je n’ai pas le sentiment de savoir inventer, mais j’ai le sentiment de savoir trouver les choses, et de les assembler. Les citations ne me protègent pas, ce sont des amies, pourquoi ne pas les utiliser ? S’il y a des arbres, pourquoi ne pas les filmer ? Si c’est une rue, si ce sont des gens, il faut en faire quelque chose. Avoir la grâce est une question d’habitude.

7) Paladion mena toujours sa tâche ardue de création poétique avec une implacable rigueur : il préférait Les Jardins crépusculaires de Lugones aux Parcs abandonnés de Herrera, mais s'il ne s’estimait pas digne d’assimiler Les Jardins, il admettait par contre que le livre de Herrera était dans ses possibilités, car il se retrouvait pleinement dans ses pages. Paladion lui octroya son nom et l’envoya à l’imprimerie sans ajouter ni retrancher une seule virgule.

8) Se mettre dans un état de réceptivité entière, mener une action collective totalement novatrice, arranger la prose sous une forme d’évidence irréfutable. En de tels instants, nous absorberons tout pour en devenir transparents jusqu’à disparaître. À la fin, dire que tout de même chacun a dansé d’après son boumboum personnel.

9) L’homme parfait est sans moi, l’homme inspiré est sans œuvre, l’homme saint ne laisse pas de nom. Ne reste que la blague. Être drôle est un moyen de survivre. Soyez pluriels comme l'univers.


LA DIRECTION

jeudi 19 avril 2007

Article 52

Si nous crions :
........Idéal, idéal, idéal,
....... Connaissance, connaissance, connaissance,
....... Boumboum, boumboum, boumboum,
nous avons enregistré assez exactement le progrès, la loi, la morale et toutes les autres belles qualités que de différents gens très intelligents ont discuté dans tant de livres, pour arriver à la fin, à dire que tout de même chacun a dansé d’après son boumboum personnel, et qu’il a raison pour son boumboum.

jeudi 12 avril 2007

Article 36

« L’homme parfait est sans moi, l’homme inspiré est sans œuvre, l’homme saint ne laisse pas de nom. »

dimanche 1 avril 2007

Article 12

Plus d'un comme moi sans doute, écrivent pour ne plus avoir de visagge. Ne me demandeez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même ; c’est UNE morale d'état-civil; elle régit nos papiers. Qu'elle nous laisse libres quand il s'agit d'écrire.

lundi 19 mars 2007

Article 31

Ce que fait un homme c’est comme si tous les hommes le faisaient. Il n’est donc pas injuste qu’une désobéissance dans un jardin ait pu contaminer l’humanité ; il n’ est donc pas injuste que le crucifiement d’un seul juif ait suffi à la sauver. Schopenhauer a peut-être raison : je suis les autres, n’importe quel homme est tous les hommes. Shakespeare est en quelque sorte le misérable John Vincent Moon.

mardi 13 mars 2007

Article 15

– Un type m’a dit : « C’est terrible, maintenant tout rappelle quelque chose, tout le monde vous rappelle quelqu’un, on ne sait plus bien quoi appartient à qui ni qui est qui!
« Et alors? j’ai dit.
« Et alors, il n’y a plus que des remakes, des sequels, des répliques!
« Et alors? j’ai dit.
« Et alors, rien… »

jeudi 1 mars 2007

Article 27

Le citationnisme recouvre les contradictions d’une époque où nous trouvons, aussi pressantes, l’obligation et la presque impossibilité de rejoindre, de mener, une action collective totalement novatrice. Où le plus grand sérieux s’avance masqué dans le double jeu de l’art et de sa négation ; où les essentiels voyages de découverte ont été entrepris par des gens d’une si émouvante incapacité.

jeudi 22 février 2007

Article 25

"Autrefois, j'avais trop le respect de la culture.
Je me mettais devant les choses et les œuvres d'art et je les laissais faire.
Fini, maintenant, j'interviendrai."

lundi 5 février 2007

Article 16

Tous les éléments culturels du passé doivent être réinvestis ou disparaître.

vendredi 26 janvier 2007

Article 11

La conception du plagiat n’existe plus : on a établi que toutes les œuvres sont l’œuvre d’un seul auteur, qui est intemporel et anonyme. La critique invente désormais des auteurs ; elle choisit deux œuvres dissemblables — disons le Tao Te King et les Mile et Une Nuits —, les attribue a un même écrivain, puis détermine en toute probité la psychologie de cet intéressant homme de lettres.

jeudi 18 janvier 2007

Article 7

Louer la diversité de l’œuvre de César Paladion, apprécier l’infatigable curiosité de son esprit, est, nul n’en doute, un des lieux communs de la critique littéraire contemporaine ; mais il convient de ne pas oublier que les lieux communs comportent toujours leur part de vérité. De même la référence à Goethe est inévitable et l’on a pas manqué de suggérer que cette référence découle de la ressemblance physique des deux grands écrivains et du fait, plus ou moins fortuit, qu’ils se partagent pour ainsi dire un Egmont. Goethe dit que son esprit était ouvert à tous les vents ; Paladion se passa de cette affirmation, puisqu’elle ne figure pas dans son Egmont, mais les onze énormes volumes qu’il a laissé prouvent qu’il pouvait de plein droit la faire sienne. Goethe et notre Paladion firent tous deux montre d’une santé et d’une robustesse qui sont les qualités les plus nécessaires à la création d’une œuvre géniale. Vaillants laboureurs de l’art, leurs mains tiennent le mancheron et tracent le sillon !
Le pinceau, le burin, le crayon et l’appareil photographique ont multiplié l’éffigie de Paladion ; nous qui l’avons connu personnellement, nous faisons fi, peut-être injustement, d’une si abondante iconographie, laquelle ne rend pas toujours bien l’autorité, la noblesse qu’irradiait le visage du maître comme une lumière constante, paisible, et qui n’éblouit jamais.
En 1909, César Paladion exerçait à Genève les fonctions de consul de la République argentine ; c’est là qu’il publia son premier ouvrage, Les Parcs abandonnées. L’édition, que se disputent aujourd’hui les bibliophiles, fut scrupuleusement corrigée par l’auteur ; elle est cependant déparée par d’affreuses coquilles, car le typographe calviniste ignorait totalement la langue de Sancho. Les amateurs de petite histoire apprécieront le rappel d’un épisode assez anodin, dont personne ne se souvient plus, et dont l’unique mérite est de prouver de façon évidente l’originalité presque scandaleuse de la conception stylistique paladionienne. À l’automne 1910, un critique de grand renom compara Les Parcs abandonnés avec l’ouvrage portant le même titre de Julio Herrera y Reissig, pour en arriver à la conclusion que Paladion avait commis – risum teneatis – un plagiat. De larges extraits des deux œuvres, publiés en colonnes parallèles, justifiaient, selon lui, une telle accusation. Celle-ci, du reste, tomba dans le vide ; les lecteurs n’en tinrent aucun compte et Paladion ne daigna même pas répondre. Le pamphlétaire, dont nous voulons oublier le nom, ne tarda pas a comprendre son erreur et fit vœu de perpétuel silence. Le manque de perspicacité de ce critique était par trop flagrant !
La période de 1911 à 1919 est celle d’une fécondité presque surhumaine. Apparaissent, coup sur coup : Le livre étrange, le roman pédagogique L’Émile, Egmont, Les Thébéennes (tome II), Le chien des Baskerville, Des Apennins aux Andes, La case de l’oncle Tom, La province de Buenos Aires jusqu’à l’ascension de la ville au titre de Capitale de la République, Fabiola, Les Géorgiques (traduction de Ochoa) et le De divinatione (en latin). La mort le surprend en plein travail ; selon le témoignage de ses proches, il avait en chantier un Évangile selon saint Luc, ouvrage dans le genre biblique, dont il ne reste aucun brouillon et dont la lecture eût été des plus intéressantes.
La méthodologie de Paladion a fait l’objet de tant de monographies critiques et de thèses doctorales qu’il est presque superflu de la résumer une fois de plus. Qu’il nous suffise de l’esquisser à grands traits. La clé en a été donnée, une fois pour toutes, dans le traité de Farrell du Bosc, La perspective Paladion-Pound-Eliot (Vve Ch. Bouret, Paris, 1937). Il s’agit, comme l’a déclaré de façon définitive Farrell du Bosc, citant Myriam Allen de Ford, d’une ampliation d’unités. Avant et après notre Paladion, l’unité littéraire que les auteurs reprenaient dans le fonds commun était le mot ou, tout au plus, la phrase complète. Les manuscrits byzantins et médiévaux élargissent à peine le champ esthétique en recopiant des vers entiers. À notre époque, un long fragment de L’Odyssée sert d’introduction à l’un des Cantos de Pound et on sait que l’œuvre de T.S. Eliot reproduit des vers de Goldsmith, de Baudelaire et de Verlaine. Paladion, en 1909, alla bien plus loin. Il annexa, pour ainsi dire, un ouvrage entier, Les Parcs abandonnés, de Herrera y Reissig. Une confidence divulguée par Maurice Abramowicz nous révèle les délicats scrupules et l’implacable rigueur avec laquelle Paladion mena toujours sa tâche ardue de création poétique : il préférait Les Jardins crépusculaires de Lugones aux Parcs abandonnés, mais il ne s’estimait pas digne d’assimiler Les Jardins ; il admettait par contre que le livre de Herrera était dans ses possibilités du moment, car il se retrouvait pleinement dans ses pages. Paladion lui octroya son nom et l’envoya à l’imprimerie sans ajouter ni retrancher une seule virgule, suivant une règle à laquelle il resta toujours fidèle. Nous nous trouvons ainsi devant l’événement littéraire le plus important de notre siècle : Les Parcs abandonnés de Paladion. Rien n’est plus éloigné, à coup sûr, du livre homonyme de Herrera qui ne reproduisait aucune œuvre antérieure. À partir de ce moment, Paladion entreprend, chose que personne avant ne lui n’avait faite, de fouiller les profondeurs de son âme et de publier des livres qui l’exprime, sans surcharger l’impressionnant corpus bibliographique déjà existant, ni tomber dans la vanité facile d’écrire soi-même une seule ligne. Immarcescible modestie de cet homme qui, devant le festin que lui proposent les bibliothèques orientales et occidentales, renonce à La Divine Comédie et aux Mille et Unes Nuits et s’en tient, bon enfant aux thébéennes (tome II) !
L’évolution mentale de Paladion n’a pas été entièrement expliquée ; par exemple, personne ne comprend le passage mystérieux qui va des Thébéennes, etc., au Chien des Baskerville. Nous n’hésitons pas, quant à nous, à soutenir que cette trajectoire est normale, propre à un grand écrivain, qui domine l’agitation romantique pour s’auréoler enfin de la noble sérénité des classiques.
Précisons que Paladion, hors quelques réminiscences scolaires, ignorait les langues mortes. En 1918, avec une timidité qui nous émeut aujourd’hui, il publia Les Géorgiques, d’après la traduction espagnole de Ochoa ; un an après, conscient alors de sa maturité spirituelle, il mit sous presse le De divination en latin. Et quel latin ! Celui de Cicéron.
Pour certains critiques, publier un évangile après des textes de Cicéron et de Virgile, correspond à une sorte de rejet des canons du classicisme ; nous préférons voir dans cette ultime démarche, qu’il ne parvint pas à réaliser, un renouveau spirituel. En somme, le mystérieux et clair chemin qui va du paganisme à la foi.
Nul n’ignore que Paladion dut subvenir, de sa propre bourse, aux frais de publication de ses livres et que ses tirages très limités ne dépassèrent jamais le chiffre de trois cents ou quatre cents exemplaires. Tous sont virtuellement épuisés et les lecteurs entre les mains desquels un heureux hasard aura mis Le Chien des Baskerville aimeront, captivés par l’originalité du style, pouvoir déguster La Case de l’Oncle Tom, probablement introuvable. C’est pourquoi nous applaudissons à l’initiative d’un groupe de députés des partis les plus opposés qui milite en faveur d’une édition officielle des œuvres complètes du plus original et du plus éclectique de nos hommes de lettres.

dimanche 14 janvier 2007

Article 2

Pour lancer un manifeste, il faut vouloir A.B.C.
foudroyer contre 1.2.3.
s’énerver et aiguiser les ailes pour conquérir et répandre de petits et de grands a.b.c.
signer, crier, jurer, arranger la prose sous une forme d’évidence absolue, irréfutable, prouver son non plus-ultra et soutenir que la nouveauté ressemble à la vie comme la dernière apparition d’une cocotte prouve l’essentiel de Dieu. Son existence fut déjà prouvée par l’accordéon, le paysage et la parole douce.
Imposer son A.B.C ; est une chose naturelle — donc regrettable