jeudi 24 mai 2007

Article 62

La force d’une route de campagne est autre, selon qu’on la parcourt à pied, ou qu’on la survole en aéroplane. La force d’un texte est autre également, selon qu’on le lit ou qu’on le copie. Qui vole voit la route s’avancer à travers le paysage : elle se déroule à ses yeux selon les mêmes lois que le terrain qui l’entoure. Seul celui qui va sur cette route apprend quelque chose de sa puissance, et apprend comment, de cet espace qui n’est pour l’aviateur qu’une plaine déployée, elle fait sortir, à chacun de ses tournants, des lointains, des belvédères, des clairières, des perspectives, comme l’ordre d’un commandant qui fait sortir ses soldats du rang. Il n’y a que le texte copié pour commander ainsi à l’âme de celui qui travaille sur lui, tandis que le simple lecteur ne découvre jamais les nouvelles perspectives de son intériorité, telle que les ouvre le texte, route qui traverse cette forêt primitive en nous-mêmes, qui va toujours s’épaississant : car le lecteur obéit au mouvement de son moi dans l’espace libre de la rêverie, tandis que celui qui copie le soumet à une discipline.

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