Louer la diversité de l’œuvre de César Paladion, apprécier l’infatigable curiosité de son esprit, est, nul n’en doute, un des lieux communs de la critique littéraire contemporaine ; mais il convient de ne pas oublier que les lieux communs comportent toujours leur part de vérité. De même la référence à Goethe est inévitable et l’on a pas manqué de suggérer que cette référence découle de la ressemblance physique des deux grands écrivains et du fait, plus ou moins fortuit, qu’ils se partagent pour ainsi dire un Egmont. Goethe dit que son esprit était ouvert à tous les vents ; Paladion se passa de cette affirmation, puisqu’elle ne figure pas dans son Egmont, mais les onze énormes volumes qu’il a laissé prouvent qu’il pouvait de plein droit la faire sienne. Goethe et notre Paladion firent tous deux montre d’une santé et d’une robustesse qui sont les qualités les plus nécessaires à la création d’une œuvre géniale. Vaillants laboureurs de l’art, leurs mains tiennent le mancheron et tracent le sillon !
Le pinceau, le burin, le crayon et l’appareil photographique ont multiplié l’éffigie de Paladion ; nous qui l’avons connu personnellement, nous faisons fi, peut-être injustement, d’une si abondante iconographie, laquelle ne rend pas toujours bien l’autorité, la noblesse qu’irradiait le visage du maître comme une lumière constante, paisible, et qui n’éblouit jamais.
En 1909, César Paladion exerçait à Genève les fonctions de consul de la République argentine ; c’est là qu’il publia son premier ouvrage, Les Parcs abandonnées. L’édition, que se disputent aujourd’hui les bibliophiles, fut scrupuleusement corrigée par l’auteur ; elle est cependant déparée par d’affreuses coquilles, car le typographe calviniste ignorait totalement la langue de Sancho. Les amateurs de petite histoire apprécieront le rappel d’un épisode assez anodin, dont personne ne se souvient plus, et dont l’unique mérite est de prouver de façon évidente l’originalité presque scandaleuse de la conception stylistique paladionienne. À l’automne 1910, un critique de grand renom compara Les Parcs abandonnés avec l’ouvrage portant le même titre de Julio Herrera y Reissig, pour en arriver à la conclusion que Paladion avait commis – risum teneatis – un plagiat. De larges extraits des deux œuvres, publiés en colonnes parallèles, justifiaient, selon lui, une telle accusation. Celle-ci, du reste, tomba dans le vide ; les lecteurs n’en tinrent aucun compte et Paladion ne daigna même pas répondre. Le pamphlétaire, dont nous voulons oublier le nom, ne tarda pas a comprendre son erreur et fit vœu de perpétuel silence. Le manque de perspicacité de ce critique était par trop flagrant !
La période de 1911 à 1919 est celle d’une fécondité presque surhumaine. Apparaissent, coup sur coup : Le livre étrange, le roman pédagogique L’Émile, Egmont, Les Thébéennes (tome II), Le chien des Baskerville, Des Apennins aux Andes, La case de l’oncle Tom, La province de Buenos Aires jusqu’à l’ascension de la ville au titre de Capitale de la République, Fabiola, Les Géorgiques (traduction de Ochoa) et le De divinatione (en latin). La mort le surprend en plein travail ; selon le témoignage de ses proches, il avait en chantier un Évangile selon saint Luc, ouvrage dans le genre biblique, dont il ne reste aucun brouillon et dont la lecture eût été des plus intéressantes.
La méthodologie de Paladion a fait l’objet de tant de monographies critiques et de thèses doctorales qu’il est presque superflu de la résumer une fois de plus. Qu’il nous suffise de l’esquisser à grands traits. La clé en a été donnée, une fois pour toutes, dans le traité de Farrell du Bosc, La perspective Paladion-Pound-Eliot (Vve Ch. Bouret, Paris, 1937). Il s’agit, comme l’a déclaré de façon définitive Farrell du Bosc, citant Myriam Allen de Ford, d’une ampliation d’unités. Avant et après notre Paladion, l’unité littéraire que les auteurs reprenaient dans le fonds commun était le mot ou, tout au plus, la phrase complète. Les manuscrits byzantins et médiévaux élargissent à peine le champ esthétique en recopiant des vers entiers. À notre époque, un long fragment de L’Odyssée sert d’introduction à l’un des Cantos de Pound et on sait que l’œuvre de T.S. Eliot reproduit des vers de Goldsmith, de Baudelaire et de Verlaine. Paladion, en 1909, alla bien plus loin. Il annexa, pour ainsi dire, un ouvrage entier, Les Parcs abandonnés, de Herrera y Reissig. Une confidence divulguée par Maurice Abramowicz nous révèle les délicats scrupules et l’implacable rigueur avec laquelle Paladion mena toujours sa tâche ardue de création poétique : il préférait Les Jardins crépusculaires de Lugones aux Parcs abandonnés, mais il ne s’estimait pas digne d’assimiler Les Jardins ; il admettait par contre que le livre de Herrera était dans ses possibilités du moment, car il se retrouvait pleinement dans ses pages. Paladion lui octroya son nom et l’envoya à l’imprimerie sans ajouter ni retrancher une seule virgule, suivant une règle à laquelle il resta toujours fidèle. Nous nous trouvons ainsi devant l’événement littéraire le plus important de notre siècle : Les Parcs abandonnés de Paladion. Rien n’est plus éloigné, à coup sûr, du livre homonyme de Herrera qui ne reproduisait aucune œuvre antérieure. À partir de ce moment, Paladion entreprend, chose que personne avant ne lui n’avait faite, de fouiller les profondeurs de son âme et de publier des livres qui l’exprime, sans surcharger l’impressionnant corpus bibliographique déjà existant, ni tomber dans la vanité facile d’écrire soi-même une seule ligne. Immarcescible modestie de cet homme qui, devant le festin que lui proposent les bibliothèques orientales et occidentales, renonce à La Divine Comédie et aux Mille et Unes Nuits et s’en tient, bon enfant aux thébéennes (tome II) !
L’évolution mentale de Paladion n’a pas été entièrement expliquée ; par exemple, personne ne comprend le passage mystérieux qui va des Thébéennes, etc., au Chien des Baskerville. Nous n’hésitons pas, quant à nous, à soutenir que cette trajectoire est normale, propre à un grand écrivain, qui domine l’agitation romantique pour s’auréoler enfin de la noble sérénité des classiques.
Précisons que Paladion, hors quelques réminiscences scolaires, ignorait les langues mortes. En 1918, avec une timidité qui nous émeut aujourd’hui, il publia Les Géorgiques, d’après la traduction espagnole de Ochoa ; un an après, conscient alors de sa maturité spirituelle, il mit sous presse le De divination en latin. Et quel latin ! Celui de Cicéron.
Pour certains critiques, publier un évangile après des textes de Cicéron et de Virgile, correspond à une sorte de rejet des canons du classicisme ; nous préférons voir dans cette ultime démarche, qu’il ne parvint pas à réaliser, un renouveau spirituel. En somme, le mystérieux et clair chemin qui va du paganisme à la foi.
Nul n’ignore que Paladion dut subvenir, de sa propre bourse, aux frais de publication de ses livres et que ses tirages très limités ne dépassèrent jamais le chiffre de trois cents ou quatre cents exemplaires. Tous sont virtuellement épuisés et les lecteurs entre les mains desquels un heureux hasard aura mis Le Chien des Baskerville aimeront, captivés par l’originalité du style, pouvoir déguster La Case de l’Oncle Tom, probablement introuvable. C’est pourquoi nous applaudissons à l’initiative d’un groupe de députés des partis les plus opposés qui milite en faveur d’une édition officielle des œuvres complètes du plus original et du plus éclectique de nos hommes de lettres.
Le pinceau, le burin, le crayon et l’appareil photographique ont multiplié l’éffigie de Paladion ; nous qui l’avons connu personnellement, nous faisons fi, peut-être injustement, d’une si abondante iconographie, laquelle ne rend pas toujours bien l’autorité, la noblesse qu’irradiait le visage du maître comme une lumière constante, paisible, et qui n’éblouit jamais.
En 1909, César Paladion exerçait à Genève les fonctions de consul de la République argentine ; c’est là qu’il publia son premier ouvrage, Les Parcs abandonnées. L’édition, que se disputent aujourd’hui les bibliophiles, fut scrupuleusement corrigée par l’auteur ; elle est cependant déparée par d’affreuses coquilles, car le typographe calviniste ignorait totalement la langue de Sancho. Les amateurs de petite histoire apprécieront le rappel d’un épisode assez anodin, dont personne ne se souvient plus, et dont l’unique mérite est de prouver de façon évidente l’originalité presque scandaleuse de la conception stylistique paladionienne. À l’automne 1910, un critique de grand renom compara Les Parcs abandonnés avec l’ouvrage portant le même titre de Julio Herrera y Reissig, pour en arriver à la conclusion que Paladion avait commis – risum teneatis – un plagiat. De larges extraits des deux œuvres, publiés en colonnes parallèles, justifiaient, selon lui, une telle accusation. Celle-ci, du reste, tomba dans le vide ; les lecteurs n’en tinrent aucun compte et Paladion ne daigna même pas répondre. Le pamphlétaire, dont nous voulons oublier le nom, ne tarda pas a comprendre son erreur et fit vœu de perpétuel silence. Le manque de perspicacité de ce critique était par trop flagrant !
La période de 1911 à 1919 est celle d’une fécondité presque surhumaine. Apparaissent, coup sur coup : Le livre étrange, le roman pédagogique L’Émile, Egmont, Les Thébéennes (tome II), Le chien des Baskerville, Des Apennins aux Andes, La case de l’oncle Tom, La province de Buenos Aires jusqu’à l’ascension de la ville au titre de Capitale de la République, Fabiola, Les Géorgiques (traduction de Ochoa) et le De divinatione (en latin). La mort le surprend en plein travail ; selon le témoignage de ses proches, il avait en chantier un Évangile selon saint Luc, ouvrage dans le genre biblique, dont il ne reste aucun brouillon et dont la lecture eût été des plus intéressantes.
La méthodologie de Paladion a fait l’objet de tant de monographies critiques et de thèses doctorales qu’il est presque superflu de la résumer une fois de plus. Qu’il nous suffise de l’esquisser à grands traits. La clé en a été donnée, une fois pour toutes, dans le traité de Farrell du Bosc, La perspective Paladion-Pound-Eliot (Vve Ch. Bouret, Paris, 1937). Il s’agit, comme l’a déclaré de façon définitive Farrell du Bosc, citant Myriam Allen de Ford, d’une ampliation d’unités. Avant et après notre Paladion, l’unité littéraire que les auteurs reprenaient dans le fonds commun était le mot ou, tout au plus, la phrase complète. Les manuscrits byzantins et médiévaux élargissent à peine le champ esthétique en recopiant des vers entiers. À notre époque, un long fragment de L’Odyssée sert d’introduction à l’un des Cantos de Pound et on sait que l’œuvre de T.S. Eliot reproduit des vers de Goldsmith, de Baudelaire et de Verlaine. Paladion, en 1909, alla bien plus loin. Il annexa, pour ainsi dire, un ouvrage entier, Les Parcs abandonnés, de Herrera y Reissig. Une confidence divulguée par Maurice Abramowicz nous révèle les délicats scrupules et l’implacable rigueur avec laquelle Paladion mena toujours sa tâche ardue de création poétique : il préférait Les Jardins crépusculaires de Lugones aux Parcs abandonnés, mais il ne s’estimait pas digne d’assimiler Les Jardins ; il admettait par contre que le livre de Herrera était dans ses possibilités du moment, car il se retrouvait pleinement dans ses pages. Paladion lui octroya son nom et l’envoya à l’imprimerie sans ajouter ni retrancher une seule virgule, suivant une règle à laquelle il resta toujours fidèle. Nous nous trouvons ainsi devant l’événement littéraire le plus important de notre siècle : Les Parcs abandonnés de Paladion. Rien n’est plus éloigné, à coup sûr, du livre homonyme de Herrera qui ne reproduisait aucune œuvre antérieure. À partir de ce moment, Paladion entreprend, chose que personne avant ne lui n’avait faite, de fouiller les profondeurs de son âme et de publier des livres qui l’exprime, sans surcharger l’impressionnant corpus bibliographique déjà existant, ni tomber dans la vanité facile d’écrire soi-même une seule ligne. Immarcescible modestie de cet homme qui, devant le festin que lui proposent les bibliothèques orientales et occidentales, renonce à La Divine Comédie et aux Mille et Unes Nuits et s’en tient, bon enfant aux thébéennes (tome II) !
L’évolution mentale de Paladion n’a pas été entièrement expliquée ; par exemple, personne ne comprend le passage mystérieux qui va des Thébéennes, etc., au Chien des Baskerville. Nous n’hésitons pas, quant à nous, à soutenir que cette trajectoire est normale, propre à un grand écrivain, qui domine l’agitation romantique pour s’auréoler enfin de la noble sérénité des classiques.
Précisons que Paladion, hors quelques réminiscences scolaires, ignorait les langues mortes. En 1918, avec une timidité qui nous émeut aujourd’hui, il publia Les Géorgiques, d’après la traduction espagnole de Ochoa ; un an après, conscient alors de sa maturité spirituelle, il mit sous presse le De divination en latin. Et quel latin ! Celui de Cicéron.
Pour certains critiques, publier un évangile après des textes de Cicéron et de Virgile, correspond à une sorte de rejet des canons du classicisme ; nous préférons voir dans cette ultime démarche, qu’il ne parvint pas à réaliser, un renouveau spirituel. En somme, le mystérieux et clair chemin qui va du paganisme à la foi.
Nul n’ignore que Paladion dut subvenir, de sa propre bourse, aux frais de publication de ses livres et que ses tirages très limités ne dépassèrent jamais le chiffre de trois cents ou quatre cents exemplaires. Tous sont virtuellement épuisés et les lecteurs entre les mains desquels un heureux hasard aura mis Le Chien des Baskerville aimeront, captivés par l’originalité du style, pouvoir déguster La Case de l’Oncle Tom, probablement introuvable. C’est pourquoi nous applaudissons à l’initiative d’un groupe de députés des partis les plus opposés qui milite en faveur d’une édition officielle des œuvres complètes du plus original et du plus éclectique de nos hommes de lettres.
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